Un universitaire, aussi prêtre, élu président de l’Université de Strasbourg

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Prêtre et président d’université, est-ce possible ? Son élection ne faisait aucun doute, ou quasiment en ces temps d’incertitude électorale, le Père Michel Deneken vient d’être porté par 26 voix contre 9, et une abstention, à la tête de l’Université de Strasbourg. L’une des plus grandes de France, dont trois membres ont obtenu un prix Nobel ces cinq dernières années. Certaines voix soutenant son adversaire dénoncent une entorse à la laïcité ou alléguent d’un risque de discrédit pour l’établissement. Michel Deneken était déjà président par intérim de l’Université, depuis septembre, palliant jusqu’à l’élection le départ Alain Beretz.

Jules Hoffmann et son prix Nobel de physiologie ou médecine en 2011, ou Martin Karplus et Jean-Pierre Sauvage, respectivement gratifiés par l’Académie royale des sciences de Suède en 2013 et 2016, les nobélisés depuis cinq ans, ou Thomas Ebbesen et son prix Kavli en nanosciences pour 2012. Quelques noms récents, parmi lesquels ceux de collaborateurs étrangers, qui renseignent sur l’importance que présente la recherche scientifique pour l’Université de Strasbourg. C’est à la tête de cette établissement public que se trouve désormais Michel Deneken. Un choix décrié par le Syndicat national des chercheurs scientifiques et le Syndicat national de l’enseignement supérieur pour qui « le fait qu’un prêtre et théologien [...] puisse être président d’une grande université de recherche, constitue un très mauvais signal envoyé à la communauté scientifique de notre pays et à une société très divisée sur la question de la laïcité ». Mais aussi par sa rivale, Hélène Michel, professeur de science politique :

« Même si Michel Deneken n’est pas chargé d’une paroisse, on est prêtre à vie, et soumis à l’autorité ecclésiastique. D’où nos craintes pour la réputation de l’université mais aussi concernant le contenu des recherches. »

L’absence d’entorse à la laïcité, mais la valorisation d’une laïcité ouverte

A la veille de son élection, Michel Deneken, avait répondu : « Et si j’étais élu parce que je suis compétent ? Ce qui semble étrange vu de la ‘France de l’intérieur’, devient normal quand on traverse la frontière allemande ou suisse. » L’association fédérative des étudiants de Strasbourg, majoritaire, considère que l’état ecclésiastique du nouveau président ne pose aucun problème. Le président de l’instance représentative des universités, Jean-Loup Salzmann abonde : « Nous ne savions pas qu’il était prêtre jusque là. C’est donc plutôt bon signe. » Un mot éclairant sur l’impartialité du nouveau président qui ne sera pas le prêtre à tête de l’université, mais prêtre et président de façon séparée, la prêtrise étant à vie, sans confusion. Contactée par nos soins, le Professeur Marie-Jo Thiel, directrice du Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Éthique, de l’Université de Strasbourg, confie sa satisfaction :

« Je me réjouis de cette élection, pour bien des raisons, dont celle pour moi du respect d’une vraie laïcité, c’est-à-dire d’une laïcité qui assume les différences ! »

Le droit français n’exclut pas les ecclésiastiques de la fonction publique, et rien n’empêche donc un professeur de l’Université de Strasbourg de la présider. D’ailleurs, vers l’époque de la loi de 1905 portant séparation de l’Eglise et de l’Etat, le commissaire du gouvernement avait précisé dans ses conclusions sur le litige opposant l’Abbé Bouteyre au ministre de l’instruction publique, concernant le droit pour l’ecclésiastique de s’inscrire sur la liste des candidats au concours d’agrégation de philosophie, que si un religieux ne pouvait enseigner dans le secondaire, il n’y avait aucune objection à ce qu’il donne des cours à l’université, car le public y était assez mûr pour se faire sa propre vue des choses. En Alsace-Moselle, du fait du Concordat, il y a des facultés de théologie d’Etat intégrées à l’Université de Strasbourg, et c’est en tant qu’enseignant dans cet établissement public que Michel Deneken a pu être élu. Sa vision personnelle du monde n’a pas d’impact sur le niveau de la recherche, d’autant que les décisions importantes sont prises de manière collégiale.

Le risque est ailleurs pour le contenu des recherches et la crédibilité de l’Université

Le tropisme gestionnaire sur un mode d’entreprise serait-il moins dangereux pour la valeur scientifique d’une université que sa direction par un ecclésiastique qui a jusque là fait montre de sa neutralité en tant que vice-président puis président par intérim ? Cette élection et ces polémiques surviennent dans un moment où des études se prononcent sur le niveau des universités. A l’heure où la notion de gestion d’entreprise est de plus en plus avancée pour la recherche universitaire, la revue Nature a publié le 14 décembre, au lendemain de l’élection de Michel Heneken, un article sur la culture d’entreprise dans les universités scandinaves, écrivant notamment : « Il est bien entendu souhaitable, et dans l’intérêt du public, que les universités produisent de l’innovation et de l’emploi ainsi que de la belle science et des discours de qualité. Mais les directeurs de recherche d’entreprise doivent comprendre que l’art de la science commence par un soupçon d’intuition que ne peuvent pas forcément mesurer la logique des manuels des gestionnaires et des administrateurs d’entreprise. Les universités ne peuvent exister sans un certain degré d’organisation et une allocation prudente de ressources matérielles finies. Mais la science dépend d’une liberté créatrice généreuse et d’une bonne mesure de la rébellion intellectuelle. » Nature oppose à cette mainmise du gestionnaire sur le scientifique qui le limite, la nécessaire reconquête du terrain perdu (It is time for scientists to regain lost ground).

Le même jour, l’INSEE publiait un document intitulé « L’évolution des compétences des adultes : effet génération et effet cycle de vie », et dont le Figaro a fourni un résumé, qui interroge sur la valeur réelle des diplômes actuels et montre qu’à âge et diplômes équivalents, les étudiants et jeunes actifs ont des compétences moins valorisantes, même si un diplômé sensiblement plus âgé et de même niveau universitaire a de moins bons résultats que les jeunes en compréhension de l’écrit et en calcul, notamment en raison de l’âge. Faire le procès d’un prétendu discrédit jeté sur l’Université de Strasbourg avec cette élection, alors que le problème se trouve ailleurs et ne cesse d’enfler, c’est se tromper de sujet.

Autant la baisse de niveau universitaire, entamée en amont avec la chute de celui du baccalauréat, que la gestion croissante des universités dans le monde sur un mode libéral peu favorable à la liberté intellectuelle constituent de réels problèmes pour l’avenir des universités françaises. L’élection d’un prêtre aucunement. Et la réputation internationale de l’Université n’y perdrait pas plus que les échanges fructueux entre le jésuite Matteo Ricci, astronome, mathématicien, cartographe n’ont fermé la porte de la Chine à l’Occident : le religieux italien fait partie de l’histoire intellectuelle de la Chine.

La possibilité de la foi et de la crédibilité scientifique

L’Eglise catholique n’a, d’ailleurs, pas critiqué un éventuel risque de voir un président d’université tarir sa parole de prêtre pour garder une crédibilité auprès de son instance publique. Si l’on parle d’un risque de confusion à la tête de l’Université, il faudrait aussi l’envisager pour le sacerdoce, au détriment de l’Eglise. Mais Michel Deneken est respecté, fait la part des choses, et sa présidence par intérim de l’Université de Strasbourg n’a pas été marquée par un quelconque tropisme anti-scientifique. Ce serait faire un mauvais procès à l’Eglise catholique, alors que l’Académie pontificale des sciences comprend plusieurs prix Nobel qui ne sont pas forcément catholiques, et dont le président, Werner Arber, un protestant, a été nommé par le Pape Benoît XVI sans que personne ne se dise qu’il allait introduire la Réforme au Vatican. L’objet de l’Académie est de « promouvoir le progrès des sciences mathématiques, physiques et naturelles, et l’étude des problèmes épistémologiques qui leur sont liés ». Une institution, regroupant chrétiens et incroyants, qui a carte libre pour faire avancer la science.

Laurent Lafforgue, titulaire de la Médaille Fields, le prix Nobel des mathématiques décerné tous les quatre ans, ne fait pas mystère de ses convictions religieuses, et ses compétences ne sauraient être remises en cause. En 2006, ce lauréat préoccupé par les questions de pédagogie, avait donné une conférence, intitulée « Tradition et fécondité : le point de vue d’un mathématicien chrétien », à l’Institut catholique, au contenu publié par l’Institut des hautes études scientifiques, au cours de laquelle il tenait ces mots :

« Parce que les fondements de la vie intellectuelle et artistique sont spirituels, parce que ce dont il s’agit est le développement de la vie que Dieu seul donne et que le Christ a promise en surabondance, je me tourne vers l’Église. Ce que je lui demande et pour quoi je prie le Seigneur est très simple : puisqu’il lui a été promis que la mort ne prévaudrait pas contre elle, je la supplie d’embarquer dans son arche, pour les sauver du déluge, les formes de la vie de l’esprit, les humanités, la philosophie, la littérature, les arts, les mathématiques, la physique et toutes les activités de l’esprit qui ont reçu la grâce de l’orientation vers la beauté. »

Ironie dans cette opposition à ce que fût élu un religieux, l’Union nationale des étudiants de France s’était associée aux Etudiants musulmans de France pour décrocher l’un des six sièges étudiants.

L’Université de Strasbourg comprend 78 unités de recherche, et constitue un pôle d’excellence dans les divers champs que sont la biologie, la biotechnologie, le médicament, la chimie, la physique des matériaux, les sciences de l’espace, et est internationalement reconnue pour ses contributions quant aux sciences humaines et sociales que met notamment en avant la Misha, ou la Maison interuniversitaire des Sciences de l’homme.

Hans-Søren Dag


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